Le photographe reporter et vidéaste Adrian Fisk lance un appel à financement participatif pour pouvoir publier dans les prochaines semaines (à l’occasion de la COP26) Until The Last Oak Falls, un livre qui présente de nombreuses photos sur les premières heures du mouvement d’action directe environnementaliste en Grande Bretagne (1995-1999). Dans cet article il évoque cette épopée de luttes où l’on grimpait déjà dans les arbres pour les défendre, et parle de son travail de photographe engagé, hier comme aujourd’hui.
La lutte menée en 1995 à Newbury 1 pour empêcher l’abattage de 350 acres de forêts anciennes vierges pour construire un contournement d’autoroute est l’un des champs de bataille les plus emblématiques et les plus importants de mémoire humaine du mouvement environnemental britannique. Cet automne-là, après avoir documenté une campagne similaire dans la vallée de Stanworth, sur l’autoroute M65, je me suis installé dans la canopée des arbres. Pendant les six mois de cet hiver glacial, j’ai vécu côte à côte avec les manifestant·e·s. Ma cabane se trouvait à 15 mètres de haut, sur un vieux chêne, et était accessible uniquement par une corde.
J’ai à l’époque chroniqué au jour le jour chaque instant de la vie des manifestant·e·s, de la gestion du quotidien, comme la préparation du thé ou les courses pour la nourriture, aux effrayantes confrontations aérienne avec la police, en passant par des moments de tendresse, de peur, de camaraderie et de fête d’une beauté exquise. C’était des gens exceptionnels : les regarder, vivre avec elles et eux et les photographier alors qu’ils mettaient leur vie et leur liberté en jeu pour défendre ces 10.000 frênes, hêtres et chênes, pour servir de bouclier humain à la nature. Il était exaltant, à un point qui ne peut être décrit, d’assister aux affrontements en haute voltige entre les manifestant·e·s et l’État, et incomparablement émouvant de voir jusqu’où des personnes étaient prêtes à aller pour sauver ces arbres séculaires.
Il y a 25 ans, le choix des manifestant·e·s était déjà clair : abattre les arbres pour ouvrir la voie à davantage de routes et de voitures émettrices de carbone, ou préserver une planète capable d’accueillir la vie. Aussi choquant qu’incroyable, la moitié de toutes les émissions de CO2 émises depuis la nuit des temps l’ont été depuis cette époque où ces individus courageux se sont installés à Newbury — laissant l’avenir de l’ensemble des espèces sur cette planète irremplaçable dans un équilibre particulièrement précaire. Si seulement nous avions écouté à l’époque.
Un activiste grimpe dans un arbre. L’utilisation d’une technique d’escalade connue sous le nom de “prusiking” permet aux de grimper dans les arbres en tirant sur la corde à la manière d’un pont-levis.
A 20 mètres au-dessus du sol, un homme tente désespérément de s’accrocher à l’arbre pour le protéger de l’abattage tout en étant tiré en arrière par les hommes du shérif de Newbury chargés de l’expulsion.
Il aura fallu déployer à Newbery 800 agents de sécurité, pour un coût de 25 millions de livres sterling à la charge de l’État, pour permettre aux tronçonneurs d’effectuer leur besogne.
Bien que la bataille pour Newbury et ses arbres ait été finalement perdue, le coût du maintien de l’ordre sur le site a incité les ministres successifs à annuler les plans de construction de 77 autres rocades au Royaume-Uni, grâce à leur engagement ces manifestant·e·s ont ainsi modifié le cours de l’histoire. Si le fait d’avoir participé à cette expérience a transformé chacun et chacune d’entre nous, ces protestations ont aussi captivé l’imagination et changé la vie de bien plus de monde. L’héritage de Newbury se répercute à travers les décennies. Il est encore temps d’écouter.
Newbury s’est produit à l’apogée d’un moment social très chargé et extrêmement important de l’histoire britannique, au cours duquel la contre-culture a connu une croissance massive en termes de nombre de participant·e·s, de défis, de visibilité, d’illégalité et de plaisir.
Les protestations environnementales et les raves clandestines sont probablement les deux expressions les plus importantes de cette époque, et il a existé une interaction dynamique entre les deux. C’est lors des raves que de nombreuses personnes ont été pour la première fois confrontées à des idées environnementales ou militantes et ont été suffisamment ouvertes pour les recevoir. Le projet de loi sur la justice pénale de 1994 2, qui rendait illégales les free parties, a politisé de nombreuses personnes qui souhaitaient auparavant uniquement pouvoir danser frénétiquement. Avec ce projet de loi, le gouvernement conservateur de l’époque avait involontairement créé une opposition hybride : d’énormes manifestations environnementales totalement dopées à l’énergie, à la bande son et à l’esprit du circuit des free parties.
Du milieu à la fin des années 90, les deux mouvements qui ont le mieux incarné cette hutzpah 3 ont été Reclaim the Streets 4 et Critical Mass 5. Chacun d’entre eux a régulièrement bloqué les rues des villes britanniques, en organisant respectivement des fêtes dansantes massives et des manifestations à vélo, afin de protester contre la pollution, la mondialisation et de brandir le drapeau de l’environnement. Reclaim the Streets a été particulièrement inoubliable : il s’agissait du premier mouvement de l’histoire qui à mis une autoroute à l’arrêt, à avoir bloquer des rues à l’aide de systèmes de sonorisation et à avoir soudain fait surgir des milliers de personnes pour un carnaval impromptu de de bacchanales festives, ou encore à faire fermer les gares de Trafalgar Square et de Liverpool Street (à Londres) avec leurs célébrations déterminée du chaos.
Ces événements extrêmement festifs et profondément politiques ont été déterminants dans la vie de nombreuses personnes. Leur mélange enivrant et joyeux de politique, de nature, de camaraderie et de musique est gravé à jamais dans la mémoire de tous ceux et celles d’entre nous qui étaient présent·e·s, et ce fut un mouvement qui a envoyé des ondes de choc à travers l’Angleterre profonde et dont l’influence est encore présente aujourd’hui au travers d’une myriade de mouvements activistes sur l’environnement.
Liens
- Le site Web d’Adrian Fisk
- Adrian Fisk sur Twitter
- La campagne sur Kickstarter
- Un article (en anglais) sur le livre
« Until the Last Oak Falls » (Jusqu’à ce que le dernier chêne ne tombe) est un beau livre relié et grand format qui rassemble des photographies puissantes, convaincantes et importantes, dont beaucoup n’ont jamais été vues auparavant, que j’ai réalisées pour documenter les premiers jours du mouvement d’action directe environnementale britannique, de 1995 à 1999. Il s’agissait des toutes premières action directe aux premiers jours de l’activisme environnementaliste au Royaume-Uni qui, plus de 20 ans plus tard, a joué un rôle comme inspiration, aux côté du mouvement américain des droits civiques, pour Extinction Rebellion et d’autres mouvements activistes. — Adrian Fisk
Comme il se doit, le livre lui-même est aussi respectueux de l’environnement et neutre en carbone que possible, avec sa couverture créé à partir de matériaux végétaux, biodégradables et compostables. Le livre a été conçu par Zoë Bather, du studio du London Centre for Book Arts. Et pour chaque contribution faite sur Kickstarter, Adrian Fisk fera également une petite donnation à The Woodland Trust, une fondation pour la protection des forêts.
Financement participatif ouvert jusqu’au 7 novembre 2021.
Traduction d’un article publié sur le site d’Adrian Fisk. Ce texte est inédit en français. Les notes de bas de page sont de notre fait. Le textes et les photos sont sous le copyright d’Adrian Fisk, ils sont reproduit ici au titre du Fair Use à savoir un usage loyal, raisonnable et acceptable. C’est aussi un acte de soutien à son projet.
- Ville principale du comté de Berkshire, dans Sud de l’Angleterre. Elle se situe à l’intersection des routes Londre-Bristol et Southamptown-Birmingham. Sur le projet de contournement de la ville par l’autoroute et son contexte, voir la page Wikipedia sur le Newsbury Bypass.|↩
- Criminal Justice and Order Act : loi britannique qui criminalise les rassemblements de plus de 20 personnes avec de la musique répétitive.|↩
- Le terme hutzpah, ou chutzpah, désigne la confiance en soit suprême, dans ce cas on pourrait dire la détermination absolue.|↩
- Série de journées de mobilisations pour « Reprendre les rues ». Un mouvement qui a débuté en Grande Bretagne avant de s’étendre brièvement à d’autres pays. Voir la page Wikipedia sur Reclaim the Streets.|↩
- Série d’actions directes de cyclistes qui se sont déroulées en Grande Bretagne pour reprendre l’espace urbain. Voir la page Wikipedia sur le Critical Mass.|↩